écrits poétiques

03.04.2025

03.04.2025

IX.

 

Je suis le vent marin.

Ma langue est humide mais rêche.

 

Parfois je suis brise frisante

qui caresse les flots,

aujourd’hui je suis vigoureux

et les froisse avec fureur,

remue les courants pélagiques

et fait claquer les vagues sur les

côtes rocheuses dans un grand fracas

et de grandes gerbes blanches et superbes.

 

Sur mon passage,

le petit monde aquatique s’enfuit

et se retranche dans les profondeurs.

Les anguilles se lovent

dans les anfractuosités les plus sombres,

les crabes s’enfouissent

dans les entrailles du sable,

rougets et pieuvres se réfugient

sous les forêts d’algues.

 

Tous savent et ne s’affolent pas.

Ils laissent passer ma décharge violente.

Je ramène tout vers le rivage,

méduses, alevins trop fragiles

pour lutter contre mon souffle,

plastiques démembrés et

déchets emmêlés.

 

Maria pédale et elle peine, je la contre.

Je n’ai nulle intention malveillante,

je souffle, c’est tout.

 

Elle respire fort

et la chaleur rend son effort pénible,

elle essaie de chanter mais n’y parvient pas.

La mélodie reste cloîtrée dans sa poitrine.

Ses jambes font un mouvement plus lent

et je sens que son esprit s’allège,

elle cesse le combat.

Lorsqu’elle attaque la dernière côte,

elle rend les armes,

finit à pied, poussant son vélo.

 

Bientôt elle est devant la conserverie.

Elle s’adosse au mur,

mains sur les genoux,

et regarde le ciel avant d’entrer.

02.04.2025

02.04.2025

VIII

 

Nous sommes encore attablées

quand les deux hommes font irruption. 

Ils parlent fort. Marco s’approche de moi

et chuchote : – On sort le café ?

Bien sûr qu’on sort le café !

Il est rare que nous recevions des hôtes,

et ceux-ci sont de marque.

 

Léo s’est accroupi devant l’enfant,

je n’entends pas ce qu’il murmure

mais leurs regards sont calmes.

Il dépose une caresse silencieuse

sur les cheveux de la jeune fille

avant de se tourner vers la peluche informe,

avec qui il fait mine de dialoguer.

 

Il ausculte les pieds menus

et se tourne vers moi.

 

– Vous avez du désinfectant ?

 

Notre trousse à pharmacie est peu étoffée,

mais Léo trouve le nécessaire

pour soigner les orteils et les talons de Léna.

L’enfant ne bronche pas.

Elle ne sursaute pas

lorsque l’alcool est appliqué sur les plaies.

 

J’observe les bras secs et noueux

de cet inconnu qui déploie des gestes précis,

sans hésitation appose des bandages.

Ce pourrait être son père.

L’image du Christ

lavant les pieds de ses disciples

m’effleure puis flotte dans la cuisine

qui est maintenant baignée de lumière.

 

La cafetière italienne ronfle bruyamment

puis crache son jus noir.

Je tends mes pantoufles à Léna, qui les enfile,

et nous partons boire le café sur la terrasse

face à la mer.

 

Les hommes parlent pêche et plongée,

Marco décrit les poissons et crustacés

qu’il capture,

désigne de la main les zones d’abondance.

Je me sens soudain propulsée

dans un rôle de femme cantonnée au foyer.

Je crois comprendre

que je resterai avec l’enfant

pendant que les deux hommes

iront vivre l’aventure.

Un voile d’inquiétude amère ondoie sur moi.

 

Marco saisit mon regard fermé

et dévie la conversation sur la planche à voile.

Son frère s’anime.

 

-Maria t’emmènera.

Elle est incroyable sur l’eau.

Une amazone des mers.

Et on a du matos de dingue.

 

Nous tentons de nous rendre  courage.

Les paysages

que nos nouveaux amis ont traversés

sont consternants.

Je n’ai guère envie

d’en connaître les détails,

je me détourne

et ramène tasses et cafetière à l’intérieur.

 

Lorsque je ressors,

j’apprends qu’ils ont décidé d’emmener Léna

pêcher sur la jetée.

L’initier,

le fil à tendre,

les asticots à transpercer,

le moulinet à activer.

 

Ma liberté du jour n’est pas entamée,

la nouvelle desserre un nœud

qui était en train de se nouer dans ma gorge.

Je dramatise toujours,

j’envisage trop souvent le pire. Maria…

ne pas chercher à tout contrôler

et laisser l’existence dérouler

ses méandres incongrus.

 

Le chat roux que j’appelle Pissenlit

vient se frotter contre mes jambes.

Je le prends dans mes bras,

m’assieds sur la murette près de Léna.

Elle hésite un peu puis le caresse,

le ronronnement de l’animal

pénètre nos poitrines

et les apaise comme un baume camphré.

01.04.2025

01.04.2025

VII.

 

J’ai passé la nuit

dans l’un des canapés de velours de la cuisine,

ce qui me vaut un torticolis

et une petite céphalée au réveil.

Rien de grave.

Quand le jour sera levé,

j’irai faire mes étirements solennels 

sur la terrasse.

Quand Léo m’aperçoit  en partant à la pêche,

il lance les bras au ciel,

d’un geste ample et caricatural. 

Mon yoga bizarre.

 

Le mer est brillante et étale,

le ciel parcouru de filaments clairs.

 

Léo et Marco ont dormi ensemble. 

La fratrie réunie.

Ils ont dû discuter

jusqu’au milieu de la nuit.

 

La clarté commence à grignoter

une partie de la pièce, nul besoin de bougies.

J’allume un brûleur de la gazinière

et y dépose la bouilloire verte.

Nous avons récupéré toutes sortes de thés 

dans les différentes maisons du village.

J’utilise avec parcimonie le darjeeling,

mon préféré.

 

Je bois mon infusion légère à petites gorgées,

le liquide doré brûle mon palais,

hydrate l’intérieur de ma bouche.

La tomette rouge est lisse et fraîche 

sous mes pieds.

 

Dans un angle mort de mon champ de vision,

je crois détecter une ombre

et pivote sur moi-même.

C’est une toute petite ombre, une ombre naine.

Sous une crinière de cheveux noirs emmêlés,

une tache pâle, le visage de l’enfant.

Elle se tient debout sur le seuil de la cuisine,

les bras le long du corps.

Un doudou élimé pend au bout de ses doigts.

 

– Viens, j’ai fait du thé.

 

Elle ne bouge pas. Lorsque j’avance vers elle,

elle imprime un mouvement de recul.

Je n’insiste pas et dispose sur la table le pain

que j’ai cuit en début de semaine

et un pot de miel. trésor précieux.

 

Sans prononcer un mot,

je lui fais signe de s’asseoir.

Je manie les couverts délicatement,

en faisant le moins de bruit possible.

Comme on le ferait face à un animal sauvage,

par crainte de l’effrayer.

 

J’attends qu’elle soit prête.

 

Enfin elle s’attable

et nous faisons connaissance.

Elle s’appelle Léna

et son écureuil en peluche n’a pas de nom.

Elle a faim, elle mange vite,

elle déchiquète et gobe ses tartines

sans mastiquer.

J’apprends qu’elle a rencontré Léo sur la route,

qu’elle était seule depuis des jours

et qu’il l’a prise sous sa protection.

Lorsque mon regard se pose sur ses pieds nus,

couverts de cloques et d’entailles,

elle les dissimule sous la table.

 

Je lui pose des questions sur sa famille

et son lieu d’origine.

Léna baisse les yeux lorsqu’elle me parle.

Elle vient d’un hameau de montagne

que je ne connais pas,

je pensais qu’en altitude

la vie aurait été plus clémente

mais elle évoque des incendies et des morts.

Dans le clair-obscur, 

je crois discerner des larmes,

j’aimerais la prendre dans mes bras,

pourtant je me retiens.

 

Je cesse de l’interroger.

Le présent est ce qu’il nous reste,

nous devons nous y accrocher,

et non nous égarer

dans les volutes dorés de la nostalgie.

J’attends qu’elle soit repue

et j’observe sa mine grave,

ses joues émaciées.

Je laisse sa petite voix

ouvrir des brèches dans notre silence.

 

– Tu n’as pas d’enfants ?

 

Je lui réponds que les chats errants

sont mes enfants,

ils sont une petite troupe dans le coin,

je les cajole et leur parle. 

Je joue aussi avec eux.

Elle ne tardera pas à les voir apparaître,

ils rappliquent illico quand nous nous levons.

Ils se regroupent aussi toujours sur notre seuil

quand nous rentrons de la pêche,

nous partageons notre butin avec eux.

 

J’aime cette douceur nouvelle

qui se glisse dans la maisonnée.

Une poésie se déploie

dans ma façon de narrer le quotidien.

Moins de logistique,

moins de préoccupations terre-à-terre.

 

Je demande à Léna si elle aime les histoires 

et son sourire en guise de réponse m’égaie.

Nous irons fouiller les bâtisses voisines

en quête d’albums jeunesse,

nous en dégotterons forcément.

31.03.2025

31.03.2025

VI.

 

J’étais en train de recoudre un chemisier

quand des voix ont résonné dans la cour.

Un timbre aigu prenait le dessus,

j’ai reconnu Violette.

 

Violette vit au bout du village

dans une maison élégante de patriciens,

avec moulures aux plafonds,

elle et son mari  en tirent une grande fierté

malgré la décrépitude

dans laquelle nous vivons tous.

Je n’ai nulle amitié pour eux, je les tolère.

Ils nous approvisionnent en alcool fort

de temps à autre, bien que

nous en ayons perdu le goût.

 

J’ai avancé vers le seuil

pour voir ce qui se tramait.

Il était tôt, Marco était parti pêcher à l’aube.

Il s’était penché sur mon lit, avait déposé

un baiser sur ma joue avant l’aube.

– Tu ne t’inquiètes plus, hein.

Je serai de retour dans la matinée.

 

Je vis alors venir à moi la voisine en verve,

suivie de deux formes humaines en haillons.

Une grande, une petite.

J’ai pensé au Docteur Jivago

après ses mois de déroute

avec les bolchéviks.

 

Des vêtements informes

et des sacs trop lourds sur le dos,

deux masses grisâtres, épuisées.

Assez vite je devinai que Léo arrivait,

accompagné d’une enfant.

Leur pas était las, en totale dissonance

avec l’excitation de leur guide.

 

Je me débarrassai

aussi vite que possible de Violette,

simulant effusions et reconnaissance

afin qu’elle se sente importante.

J’installai les deux hôtes

dans les canapés de la cuisine.

Je fis chauffer de l’eau pour un thé

et descendis dans les réserves

pour y prélever du sucre.

Je n’osai proférer un mot

devant les mines défaites.

 

L’enfant tremblait

et je la fis monter dans ma chambre

pour qu’elle s’allonge.

Elle semblait agitée et je finis

par l’aider à se déshabiller

puis posai ma main sur mon front.

 

Ses yeux ne parvenaient pas à se fermer.

Les premiers mots vinrent,

je voulais la rassurer.

Finalement un flot de paroles

s’échappa de moi.

21.03.2025

21.03.2025

Des bagues brillent à mes doigts

Le cœur bat plus lentement

L’ample cape de la nuit

Sur les épaules,

La mer murmure un message du vent

J’acquiesce

Le vent sait toujours

Depuis mon promontoire de rochers

D’algues

et de fins crustacés tranchants

J’observe et j’attends

 

J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus