03.04.2025

IX.

 

Je suis le vent marin.

Ma langue est humide mais rêche.

 

Parfois je suis brise frisante

qui caresse les flots,

aujourd’hui je suis vigoureux

et les froisse avec fureur,

remue les courants pélagiques

et fait claquer les vagues sur les

côtes rocheuses dans un grand fracas

et de grandes gerbes blanches et superbes.

 

Sur mon passage,

le petit monde aquatique s’enfuit

et se retranche dans les profondeurs.

Les anguilles se lovent

dans les anfractuosités les plus sombres,

les crabes s’enfouissent

dans les entrailles du sable,

rougets et pieuvres se réfugient

sous les forêts d’algues.

 

Tous savent et ne s’affolent pas.

Ils laissent passer ma décharge violente.

Je ramène tout vers le rivage,

méduses, alevins trop fragiles

pour lutter contre mon souffle,

plastiques démembrés et

déchets emmêlés.

 

Maria pédale et elle peine, je la contre.

Je n’ai nulle intention malveillante,

je souffle, c’est tout.

 

Elle respire fort

et la chaleur rend son effort pénible,

elle essaie de chanter mais n’y parvient pas.

La mélodie reste cloîtrée dans sa poitrine.

Ses jambes font un mouvement plus lent

et je sens que son esprit s’allège,

elle cesse le combat.

Lorsqu’elle attaque la dernière côte,

elle rend les armes,

finit à pied, poussant son vélo.

 

Bientôt elle est devant la conserverie.

Elle s’adosse au mur,

mains sur les genoux,

et regarde le ciel avant d’entrer.

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J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus