02.04.2025

VIII

 

Nous sommes encore attablées

quand les deux hommes font irruption. 

Ils parlent fort. Marco s’approche de moi

et chuchote : – On sort le café ?

Bien sûr qu’on sort le café !

Il est rare que nous recevions des hôtes,

et ceux-ci sont de marque.

 

Léo s’est accroupi devant l’enfant,

je n’entends pas ce qu’il murmure

mais leurs regards sont calmes.

Il dépose une caresse silencieuse

sur les cheveux de la jeune fille

avant de se tourner vers la peluche informe,

avec qui il fait mine de dialoguer.

 

Il ausculte les pieds menus

et se tourne vers moi.

 

– Vous avez du désinfectant ?

 

Notre trousse à pharmacie est peu étoffée,

mais Léo trouve le nécessaire

pour soigner les orteils et les talons de Léna.

L’enfant ne bronche pas.

Elle ne sursaute pas

lorsque l’alcool est appliqué sur les plaies.

 

J’observe les bras secs et noueux

de cet inconnu qui déploie des gestes précis,

sans hésitation appose des bandages.

Ce pourrait être son père.

L’image du Christ

lavant les pieds de ses disciples

m’effleure puis flotte dans la cuisine

qui est maintenant baignée de lumière.

 

La cafetière italienne ronfle bruyamment

puis crache son jus noir.

Je tends mes pantoufles à Léna, qui les enfile,

et nous partons boire le café sur la terrasse

face à la mer.

 

Les hommes parlent pêche et plongée,

Marco décrit les poissons et crustacés

qu’il capture,

désigne de la main les zones d’abondance.

Je me sens soudain propulsée

dans un rôle de femme cantonnée au foyer.

Je crois comprendre

que je resterai avec l’enfant

pendant que les deux hommes

iront vivre l’aventure.

Un voile d’inquiétude amère ondoie sur moi.

 

Marco saisit mon regard fermé

et dévie la conversation sur la planche à voile.

Son frère s’anime.

 

-Maria t’emmènera.

Elle est incroyable sur l’eau.

Une amazone des mers.

Et on a du matos de dingue.

 

Nous tentons de nous rendre  courage.

Les paysages

que nos nouveaux amis ont traversés

sont consternants.

Je n’ai guère envie

d’en connaître les détails,

je me détourne

et ramène tasses et cafetière à l’intérieur.

 

Lorsque je ressors,

j’apprends qu’ils ont décidé d’emmener Léna

pêcher sur la jetée.

L’initier,

le fil à tendre,

les asticots à transpercer,

le moulinet à activer.

 

Ma liberté du jour n’est pas entamée,

la nouvelle desserre un nœud

qui était en train de se nouer dans ma gorge.

Je dramatise toujours,

j’envisage trop souvent le pire. Maria…

ne pas chercher à tout contrôler

et laisser l’existence dérouler

ses méandres incongrus.

 

Le chat roux que j’appelle Pissenlit

vient se frotter contre mes jambes.

Je le prends dans mes bras,

m’assieds sur la murette près de Léna.

Elle hésite un peu puis le caresse,

le ronronnement de l’animal

pénètre nos poitrines

et les apaise comme un baume camphré.

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J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus