31.03.2025

VI.

 

J’étais en train de recoudre un chemisier

quand des voix ont résonné dans la cour.

Un timbre aigu prenait le dessus,

j’ai reconnu Violette.

 

Violette vit au bout du village

dans une maison élégante de patriciens,

avec moulures aux plafonds,

elle et son mari  en tirent une grande fierté

malgré la décrépitude

dans laquelle nous vivons tous.

Je n’ai nulle amitié pour eux, je les tolère.

Ils nous approvisionnent en alcool fort

de temps à autre, bien que

nous en ayons perdu le goût.

 

J’ai avancé vers le seuil

pour voir ce qui se tramait.

Il était tôt, Marco était parti pêcher à l’aube.

Il s’était penché sur mon lit, avait déposé

un baiser sur ma joue avant l’aube.

– Tu ne t’inquiètes plus, hein.

Je serai de retour dans la matinée.

 

Je vis alors venir à moi la voisine en verve,

suivie de deux formes humaines en haillons.

Une grande, une petite.

J’ai pensé au Docteur Jivago

après ses mois de déroute

avec les bolchéviks.

 

Des vêtements informes

et des sacs trop lourds sur le dos,

deux masses grisâtres, épuisées.

Assez vite je devinai que Léo arrivait,

accompagné d’une enfant.

Leur pas était las, en totale dissonance

avec l’excitation de leur guide.

 

Je me débarrassai

aussi vite que possible de Violette,

simulant effusions et reconnaissance

afin qu’elle se sente importante.

J’installai les deux hôtes

dans les canapés de la cuisine.

Je fis chauffer de l’eau pour un thé

et descendis dans les réserves

pour y prélever du sucre.

Je n’osai proférer un mot

devant les mines défaites.

 

L’enfant tremblait

et je la fis monter dans ma chambre

pour qu’elle s’allonge.

Elle semblait agitée et je finis

par l’aider à se déshabiller

puis posai ma main sur mon front.

 

Ses yeux ne parvenaient pas à se fermer.

Les premiers mots vinrent,

je voulais la rassurer.

Finalement un flot de paroles

s’échappa de moi.

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J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus