01.04.2025

VII.

 

J’ai passé la nuit

dans l’un des canapés de velours de la cuisine,

ce qui me vaut un torticolis

et une petite céphalée au réveil.

Rien de grave.

Quand le jour sera levé,

j’irai faire mes étirements solennels 

sur la terrasse.

Quand Léo m’aperçoit  en partant à la pêche,

il lance les bras au ciel,

d’un geste ample et caricatural. 

Mon yoga bizarre.

 

Le mer est brillante et étale,

le ciel parcouru de filaments clairs.

 

Léo et Marco ont dormi ensemble. 

La fratrie réunie.

Ils ont dû discuter

jusqu’au milieu de la nuit.

 

La clarté commence à grignoter

une partie de la pièce, nul besoin de bougies.

J’allume un brûleur de la gazinière

et y dépose la bouilloire verte.

Nous avons récupéré toutes sortes de thés 

dans les différentes maisons du village.

J’utilise avec parcimonie le darjeeling,

mon préféré.

 

Je bois mon infusion légère à petites gorgées,

le liquide doré brûle mon palais,

hydrate l’intérieur de ma bouche.

La tomette rouge est lisse et fraîche 

sous mes pieds.

 

Dans un angle mort de mon champ de vision,

je crois détecter une ombre

et pivote sur moi-même.

C’est une toute petite ombre, une ombre naine.

Sous une crinière de cheveux noirs emmêlés,

une tache pâle, le visage de l’enfant.

Elle se tient debout sur le seuil de la cuisine,

les bras le long du corps.

Un doudou élimé pend au bout de ses doigts.

 

– Viens, j’ai fait du thé.

 

Elle ne bouge pas. Lorsque j’avance vers elle,

elle imprime un mouvement de recul.

Je n’insiste pas et dispose sur la table le pain

que j’ai cuit en début de semaine

et un pot de miel. trésor précieux.

 

Sans prononcer un mot,

je lui fais signe de s’asseoir.

Je manie les couverts délicatement,

en faisant le moins de bruit possible.

Comme on le ferait face à un animal sauvage,

par crainte de l’effrayer.

 

J’attends qu’elle soit prête.

 

Enfin elle s’attable

et nous faisons connaissance.

Elle s’appelle Léna

et son écureuil en peluche n’a pas de nom.

Elle a faim, elle mange vite,

elle déchiquète et gobe ses tartines

sans mastiquer.

J’apprends qu’elle a rencontré Léo sur la route,

qu’elle était seule depuis des jours

et qu’il l’a prise sous sa protection.

Lorsque mon regard se pose sur ses pieds nus,

couverts de cloques et d’entailles,

elle les dissimule sous la table.

 

Je lui pose des questions sur sa famille

et son lieu d’origine.

Léna baisse les yeux lorsqu’elle me parle.

Elle vient d’un hameau de montagne

que je ne connais pas,

je pensais qu’en altitude

la vie aurait été plus clémente

mais elle évoque des incendies et des morts.

Dans le clair-obscur, 

je crois discerner des larmes,

j’aimerais la prendre dans mes bras,

pourtant je me retiens.

 

Je cesse de l’interroger.

Le présent est ce qu’il nous reste,

nous devons nous y accrocher,

et non nous égarer

dans les volutes dorés de la nostalgie.

J’attends qu’elle soit repue

et j’observe sa mine grave,

ses joues émaciées.

Je laisse sa petite voix

ouvrir des brèches dans notre silence.

 

– Tu n’as pas d’enfants ?

 

Je lui réponds que les chats errants

sont mes enfants,

ils sont une petite troupe dans le coin,

je les cajole et leur parle. 

Je joue aussi avec eux.

Elle ne tardera pas à les voir apparaître,

ils rappliquent illico quand nous nous levons.

Ils se regroupent aussi toujours sur notre seuil

quand nous rentrons de la pêche,

nous partageons notre butin avec eux.

 

J’aime cette douceur nouvelle

qui se glisse dans la maisonnée.

Une poésie se déploie

dans ma façon de narrer le quotidien.

Moins de logistique,

moins de préoccupations terre-à-terre.

 

Je demande à Léna si elle aime les histoires 

et son sourire en guise de réponse m’égaie.

Nous irons fouiller les bâtisses voisines

en quête d’albums jeunesse,

nous en dégotterons forcément.

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J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus