TA MUSIQUE INTÉRIEURE​

Ma douce Ada,

 
Je te vois. Je suis ta bague d’oreille dorée que tu ne quittes plus, de peur de l’égarer. Tu nages en piscine, dans le lac, tu cours en forêt, tu regardes le ciel. Tu t’allonges au soleil. Tu lis sans lire. Tu te retranches de l’agitation de la ville.
 
Je te vois et tu te transformes encore, c’est douloureux et beau. Tous ces signaux de l’incertitude sont là pour renforcer la confiance que tu as en toi et en la vie.
 
Certes, tu n’as pas choisi une voie rectiligne. Les défis que tu t’imposes sont vertigineux, aussi hauts que le Pigne d’Arolla, pas tout à fait 4000 mètres. Presque. Mais tu l’as gravi, ce sommet. Tu vois?
 
Rien n’est acquis et tu as conscience de la fragilité du parcours. Cette conscience a un prix. Tu paies cher ce tribut. Mais avoue-le, tu ne voudrais pas d’un autre sentier. C’est le tien. Ta crête sans concession. Le vide d’un côté et de l’autre. Tant pis si tu es seule.
 
Tant pis si les autres choisissent des sentes plus douces, s’ils sont plus simples, plus tranquilles, ou alors s’ils sont plus robustes et peuvent tout encaisser.

Je ne peux pas t’aider.

 
Bien sûr, aujourd’hui, tu voudrais t’échapper loin de tout. Appeler ton guide de haute montagne, partir sur les hauteurs, dans le règne minéral, loin des fracas du monde. La fuite…
 

Les amis, ton guide, ils sont là. Mais pour l’instant tu as mieux à faire. Continue à creuser en toi.

 
N’oblige personne à te chérir. Choisis l’évidence même si elle est étrange et cabossée. Aime la lumière du ciel, les lectures qui font frissonner, l’art qui bouleverse, la douceur de l’eau froide que tu froisses de tes mains le matin tôt. C’est cela qui compte. Déploie doucement tes ailes. Les agacements du jour ne sont qu’un leurre.
 

Reste fidèle à ton cœur, avec tous ses désordres. Tu es différente, oui, ce n’est pas un drame. Au contraire. Écoute ta musique intérieure.

Tu es seule avec le Ciel, et alors? C’est là que tout commence.

Theus

J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus