Ce soir, j’en ai ma claque, ras-le-bol et ras-la-casquette, plein le nez et les écoutilles, je suis réduite en poudre. En miettes. Le navire prend l’eau.
On fait quoi avec des opérateurs téléphoniques qui ne comprennent pas que je suis technico-déficiente ? Ok, ça ne se sent pas de prime abord. Je fais la fille qui assure, deutsch-english-whatever, oui j’ai branché les câbles, réparé mon vélo, changé le fusible endommagé, je vois la configuration de la prise plombée, pas plombée, je comprends… mais la fibre optique et le téléréseau, c’est tout sauf meine Abteilung.
Et… on fait quoi avec des gosses infernaux ? On les noie, comme les petits chats qui n’auraient pas dû naître ? On les enguirlande, on les pousse du 7ème étage, ou on les rassure, on les console ? On leur dit : je suis désolée, je suis claquée, j’ai trois textes à traduire, 25 livres à lire, j’ai déballé des cartons pendant deux jours, j’ai envie de m’allonger sur mon lit et de scruter le plafond. Je vous aime.
De toutes parts, l’énergie était brouillonne. Peut-être la pleine lune chiffonne-t-elle nos cœurs ? Cher Theus, cet après-midi, je t’ai cherché dans les feuillages qui bruissent sous mes fenêtres, dans les traces blanches des avions sur le ciel bleu, tu n’y étais pas. Tu n’étais nulle part.
C’était un jour comme ça. Un jour qui n’avait pourtant pas si mal commencé, mais a eu tôt fait de m’exaspérer. Le ciel se charge d’or pour adoucir ma peine mais n’y parvient pas.
Message au Ciel : j’attends autre chose de mes jours. Ok, je sais, le vent qui souffle sur mes jours n’est rien d’autre que ma propre respiration. Demain, je ferai meilleur usage de ma cage thoracique.
Ada
Chère Ada,
Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.
Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.
Tu n’as pas senti ma présence.
J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.
Pourtant je t’ai entendu murmurer :
– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.
La manucure a sursauté :
– On n’est jamais trop soigné.
Tu as rétorqué :
– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.
La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.
Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.
J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.
Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.