Chère Ada,
Le monde est minuscule. Une petite chose fragile. Et forte, résistante, comme une armée de mercenaires.
J’aime : ton cœur qui bat vite comme celui d’un moineau tenu dans le creux de la main.
J’aime : ta confiance lorsque la vie va de travers et ne t’offre pas ce que tu espérais.
Encore, j’aime : ton rire dans la situation qui te ridiculise.
J’aime : ton envie de grands espaces, tes projections dans de grands voyages, quand tout t’enferme entre quatre murs.
J’aime : ton silence, ton corps qui fait une halte pour écouter le chant des oiseaux.
Ta peur de rater le plat que tu cuisines, et toute l’attention, enfantine, que tu mets dans la préparation du repas.
Ta méconnaissance absolue des chemins forestiers, ton désir de te perdre dans les sous-bois et de les explorer.
Ta crainte de ne pas être à la hauteur alors que tu sais être à la hauteur.
Ta brasse coulée dans les énormes vagues.
Ta tête qui réapparaît, puis tes plongeons, depuis la falaise, dans des eaux profondes. Juste pour essayer.
J’aime : ta manière douce de parler aux chats errants.
Ta distance qui dit la tendresse.
L’impossibilité que tu as de détester.
Tes ronflements quand tu dors sur le dos.
Tes deux grains de beauté dans le creux de l’épaule droite.
L’amour fou, romantique, qui court dans tes veines.
Ton souffle court dans l’étreinte.
Ta sensualité féline, que tu dissimules.
Tes changements de dernière minute dans l’organisation de la journée, et foutent le bordel dans la mienne.
La folie de tes propos après deux verres de vin.
Ta détermination qui grandit, ta fermeté qui s’affermit face aux malotrus.
Ton envie de faire juste. De ne pas blesser inutilement.
Tes messages trop longs, tes avalanches de mots, qui disent trop, qui incommodent.
Tes changements de ton, d’humeur, pour un mot inapproprié, pour une absence.
Le désordre dans ton cœur.
Ton amour des textes surannés.
Ton désir éperdu d’authenticité.
Les bracelets fins à tes poignets.
J’aime : cette fragilité qui n’est qu’apparente, et bravera les pires tempêtes.
Je t’embrasse.
Theus.
Chère Ada,
Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.
Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.
Tu n’as pas senti ma présence.
J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.
Pourtant je t’ai entendu murmurer :
– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.
La manucure a sursauté :
– On n’est jamais trop soigné.
Tu as rétorqué :
– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.
La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.
Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.
J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.
Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.