Fougères

Theus, mon seigneur du désert, mon aimé aux mille noms, au cœur un et silencieux,

 
Nos élans trouvent leur chemin, nourrissent notre absence-présence magique, ce secret que nul ne perçoit à part nous.
 
Tu n’as jamais été à moi comme je n’ai jamais été à toi, nul n’appartient à personne, comme la fougère tendre nous poussons nos tiges comme nous le pouvons, nous déployons nos branches feuillues et invisibles dans les sous-bois ombragés, autour des arbres et des souches, à notre manière nous nous chérissons.
 
Comment oublier nos discussions endiablées, comment oublier ton souffle. La chaleur de tes doigts qui caressent l’intérieur de mes poignets. Tes lunettes que tu enlèves et poses avec précipitation et délicatesse à la fois, révélant ton regard si vulnérable.

 

Ferme les yeux. Je suis là. Je pose ma main sur ta cuisse nue. Tous ces petits poils qui se hérissent. Je vais et viens, c’est ma main, juste ma main, qui joue avec ce duvet fin. Mes doigts descendent, ils explorent. Je sais d’où tu viens, tu ne me le diras pas mais je sais d’où tu viens. Je ne sais pas où tu vas, et tu ne le sais pas toi-même. Mais je sais d’où tu viens.

 
Clos tes paupières, sens la chaleur de ma paume ouverte. Sais-tu où je poserai mes lèvres, le sais-tu ? J’approcherai ma bouche doucement. Tu sentiras mon souffle, mais tandis que j’approche mes lèvres, tu ne sauras pas où, jusqu’au dernier moment tu ne sauras pas quelle partie de ton corps ma bouche embrassera. Peut-être que ce sera ton nombril. Le creux de ton coude. Peut-être ta nuque. Le lobe de ton oreille. Ou ton sexe émouvant.
 
Ferme les yeux. Je suis près de toi. N’ouvre pas les yeux. Surtout ne les ouvre pas. Mes mains se posent sur ton visage. Du bout de l’index, j’entrouvre ta bouche. Ce doigt vient maintenant caresser tes paupières. Ton cou. Tes salières.

Garde ce moment au creux de toi.

Ada

J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus