Hé, j’ai quelque chose à vous dire. Quelque chose qui demande à fleurir et doit être chuchoté à l’oreille de tous.
Le monde n’est pas vide. Le monde n’est pas inerte, le monde n’est pas ce bois mort, ce cheval fourbu qui se traîne et court à sa perte. Il existe autre chose que ces masques fallacieux de chacun contre tous et tous pour le confort.
Je rentre des 49èmes rencontres internationales du PEN Club organisées en Slovénie. Au bord du lac de Bled, tout contre des pentes douces. Le PEN Club, c’est cette association d’écrivains née en 1921 qui œuvre pour l’entente entre les peuples et la liberté d’expression. Des auteurs illustres en ont été ou en sont, Joseph Conrad, Paul Valéry, H.G. Wells, Alberto Moravia, Heinrich Böll, Arthur Miller, Mario Vargas Llosa, Margaret Atwood, Elizabeth Craig, Erri de Luca.
Les intellectuels que j’ai rencontrés à Bled ne sont pas une poignée d’idéalistes. Ce sont des romanciers, des philosophes, des poètes qui se frottent aux réalités, recensent les injustices, prennent en pleine face les cumulo-nimbus qui assombrissent nos démocraties et non-démocraties.
Bien sûr, les belles intentions de lettreux peuvent sembler faibles face à un arsenal politique et idéologique puissant. Le PEN Club défend des valeurs humanistes et publie des résolutions. Une résolution contre la peine de mort vient d’être adoptée à Bled. Quid de la peine capitale pour les pays qui, de toute manière, appliquent la charia ? Hanna Arendt dit que “les mots justes, trouvés au bon moment, sont de l’action”. Comme au Bureau international du travail et dans d’autres instances internationales, la pression reste éthique et étique. Mais elle est cet appel aux consciences, qui peut isoler une nation au fil du temps, éroder un pouvoir, cette portion de nuage qui, lentement, peut étouffer les tyrans.
J’ai écouté dans le recueillement des exposés éclairés sur le mouvement du monde, entre pragmatisme éveillé et pessimisme forcené. Je me suis sentie petite, si petite. Mais pas impuissante.
Nous avons tous un rôle à jouer dans la Grande Histoire.
Au bord du lac de Bled, j’ai senti que le monde oscillait, que le moindre de nos pas faisait pencher le balancier. Je cherche les mots justes. Sur cette pente douce.
Ces jours lumineux, en compagnie de personnes érudites et intelligentes qui m’ont fait sentir lilliputienne et grande toute à la fois, par leur regard sur moi, par nos échanges, m’ont nourrie de beauté et de bonté.
La Slovénie a un visage modeste et doux. Son peuple a laissé passer les occupants, austro-hongrois, français ou italiens. Il subsiste ce paysage vert et vallonné. Des eaux silencieuses où s’ébrouent des canards. Toute cette paix pour parler des désordres du monde.
À flanc de coteau, un peu de guingois, je cherche les mots justes, l’équilibre. Sur la pente douce.
Chère Ada,
Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.
Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.
Tu n’as pas senti ma présence.
J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.
Pourtant je t’ai entendu murmurer :
– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.
La manucure a sursauté :
– On n’est jamais trop soigné.
Tu as rétorqué :
– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.
La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.
Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.
J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.
Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.