Neige

Theus,

 

La neige arrive en plaine ! Je suis cette enfant qui scrute le blanc du ciel.

Je sais que tu boudes. Je sais que nous nous sommes éloignés, qu’on ne s’aime plus comme avant. Que nos bébés koalas ne flotteront pas dans mon liquide amniotique, que nous ne passerons plus des nuits entières à interroger les étoiles.

Mais je suis la cité amie, le fanion qui indique le point de ravitaillement. Je suis le refuge chaud, le pelage de mammouth. Je suis la tisane aux bourgeons d’origan.

Ok, tout s’effondre. Mais n’aie pas peur. Ce bazar sans nom, c’est une phase. C’est normal. Nous allons passer au travers, toi et moi.

Oui, tout s’effondre. C’est ok. La terre gronde.

Et le ciel?

Bientôt, je serai dans la neige. Je m’y plongerai des pieds au cou. Et ce sera sensuel comme une nuit dans des draps frais. Ce sera long et tendre et profond. Plaisir recherché sans hâte, les yeux rivés aux sommets.

Je te parle une langue que tu ne comprends peut-être plus. Je suis sur un autre versant. Pas loin. Ailleurs.

Bien sûr, je me souviens d’Amélie-les-Bains. De notre ivresse sans alcool. Des chevaux qui semblaient connaître les enfants depuis toujours. Des tongs nippones, des services à thé et du papier à origami dans la rocaille des Pyrénées. Notre ami de Barcelone dans son épicerie japonaise au milieu de la Cerdagne. Ton gag avec les parapluies pour nous indiquer le chemin. Mon escapade vers l’église romane et les petites boules de métal installées par les nonnes pour éloigner la foudre. Les broussailles, le chemin escarpé. Encore le chemin qui monte. C’était beau. C’est du passé. Et j’ai aimé tout cela.

Bientôt je serai dans la neige. Cristaux crissant sous mon poids.

Ou alors je serai neige. Flocon. Et je m’envolerai, chahutée par les vents.

Ada

 

J'EMBRASSE TA CHEVELURE​

Chère Ada,

 
La nuit est tombée, lourde, sur mon village.
 
Depuis des mois, je cherche à t’éloigner, je t’efface par petites touches, je gomme les contours de ton visage, de ta voix. Je me libère de toi.
Quand j’y parviens presque, tu ressurgis. Si je ne t’aimais pas autant, je dirais que tu es insupportable. Tu es celle qui revient quand on n’y croit plus.

Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.

Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.

Tu n’as pas senti ma présence.

J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.

Pourtant je t’ai entendu murmurer :

– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.

La manucure a sursauté :

– On n’est jamais trop soigné.

Tu as rétorqué :

– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.

La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.

Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.

J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.

Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.

Je ne sais pas pourquoi tu m’écris à nouveau, mais je sens qu’une douceur nouvelle éclot en toi… Je sais aussi que tes cyclones intérieurs peuvent se lever d’un instant à l’autre, imprévisibles. Serais-tu vexée si je te dis qu’avec le temps, tes tornades m’attendrissent?
J’ai fait mine de t’oublier, pourtant la magie de tes gestes demeure, sceau invisible.
 
Accroche-toi à la douceur.
 
J’embrassse ta chevelure, souple et soyeuse. Comment aurais-je pu en oublier la couleur ?
 
Theus