Cher Theus,
Mon cœur s’évapore parfois. Il suffit d’une brume matinale sur l’Arve, il s’étiole, se fond dans l’air humide et disparaît.
Ne pas te voir. Pas te toucher. Pas te respirer. Nous nous écritons des lettres dignes des poilus. La Grande Guerre. Tracer des mots à l’encre, glisser dans le délié de l’écriture les élans de tendresse, vivre dans l’attente des retrouvailles, horizon inconnu. On dirait une dystopie, ou des temps reculés.
“Je ne sais pas quand je te serrerai contre moi, mon amant, mon amour”.
“J’ai bien reçu ton colis. Je vais bien malgré le froid. Je suis content que les enfants soient en bonne santé”.
“Veille bien sur les bêtes, mon aimée.”
“Nous aurons 15 hectolitres de plus de vin cette année, si Dieu le veut.”
Nos corps qui se ne se touchent plus, mon amour. Nos nuits froides. Nos bras le long du corps, nos mains qui ne se rejoignent plus lorsque nous marchons dans la rue. Disparue, l’odeur de ton shampoing. Envolée, la sensation de tes doigts sur ma cuisse. Et ce petit frisson dans le cou que provoquait ta main sur mes cheveux le matin, quand je me maquillais devant le miroir…
Chacun chez soi.
Mon coeur s’évapore parfois, mais c’est pour mieux te rejoindre.
Ada