I.
Je suis la végétation sèche, le pin
aux aiguilles résistantes. Je suis
l’herbe roussie. Le figuier aux
feuilles brunies, la succulente. La
pousse qui cherche l’eau. Je suis
les buissons et les arbustes, je
suis le cactus, nous nous
accrochons à un sol calcaire.
Nous sommes des résineux, des
durs à cuire. Dans la garrigue, la
vie est devenue difficile.
Contre le Massif des Albères,
nous poussons nos excroissances vers le ciel.
Un feu né à la base
d’une pente la gravira à toute
vitesse. Le haut de la flamme
brûle plus intensément, et le feu
brûle toujours vers le haut. Nous
avons peur. Nous vivons avec la
peur.
Nos collines sont ternes, nous
formons un corps sec et
décharné. Les crevasses
fendillent le sol. La mer toute
proche avive nos plaies, son eau
ne peut rien pour nous.
Autrefois, on faisait la différence
entre plantes domestiques et
plantes sauvages, comme pour
les animaux. Celles qui sont
choyées au quotidien et celles qui,
autonomes, se débrouillent seules.
Celles qui auront chaque soir leur
ration d’eau et de nourriture,
aussi un brin de tendresse.
Et celles qui, libres de
toute entrave, de tout lien affectif
ou asservissant, aussi livrées
à elles-mêmes, sont leur propre
refuge et mènent le combat pour
la survie.
A présent nous sommes tous
logés à la même enseigne. Nous
nous entraidons comme nous le
pouvons, nous communiquons
comme nous le pouvons.
Chère Ada,
Quand même, merci pour ta lettre. Je l’ai lue les cils humides. J’ai affiché l’enveloppe fleurie dans ma cuisine puis j’ai tout laissé en plan. Je n’ai pas songé à te résister, je me suis envolé vers toi.
Je me suis coulé dans une bague fine à ton doigt. Pas l’anneau doré qui a l’air d’une alliance. L’autre, aussi délicate, qui la surmonte, ornée d’une pierre transparente et biseautée qui fragmente la lumière. J’étais à ton doigt un jour durant.
Tu n’as pas senti ma présence.
J’étais avec toi chez la manucure. Tu peux être superficielle parfois. Amoureuse des éclats faciles, du brillant, du papier glacé.
Pourtant je t’ai entendu murmurer :
– Moi je n’aime pas les femmes trop soignées.
La manucure a sursauté :
– On n’est jamais trop soigné.
Tu as rétorqué :
– J’aime un maquillage léger, l’élégance raffinée, pour autant que cela ne vire pas à l’obsession, que cela ne masque pas un vide. Je crois aussi que le temps passé à se malaxer-botoxer le visage est du temps prélevé sur la tendresse.
La sophistication extrême révèle une faille, la crainte d’être soi, le besoin de se dissimuler derrière des paillettes. J’aime les femmes assez naturelles. Celles qui n’ont pas un deuxième visage sous la couche de fond de teint.
Et j’aime te voir décoiffée, les cheveux au vent sur ton vélo. C’est ainsi que tu es la plus intrépide, la plus sauvage, la plus séduisante.
J’ai vu ton émotion vive lorsque ta fille a évoqué la détresse psychologique de son amie. La souffrance de cette adolescente te transperce. Nos impuissances douloureuses.
Ta fille avait envie de parler. J’ai vu votre complicité renouvelée. Ton émotion encore lorsque vous avez évoqué Gaza et Isräel, ces déchirures qui défigurent le berceau de l’humanité.